MATRA MS84, F1 à quatre roues motrices !

En 1966, la cylindrée des Formule Un passe à 3000 cm3. A l’été 1967 apparait le moteur Ford V8 DFV suivi quelques mois plus tard du Matra V12 MS 9. Tous deux produisent plus de 400 chevaux et, les voitures pesant 500 kg, les pneus ont du mal à faire transmettre une telle puissance sur sol glissant. Fin 1967,  Clark déclare que piloter une F1 sous la pluie revient à « conduire une Jaguar Type E sur de la glace avec des pneus lisses ». Par malchance, une majorité des Grands Prix disputés en 1968 se déroule sous la pluie et l’élargissement rapide des roues ne suffit pas à régler le problème. Les équipes cherchent des solutions alternatives.

Fin 1968 Cosworth produit une Formule Un expérimentale à quatre roues motrices, Lotus et Mc Laren travaillent sur des solutions similaires. Ken Tyrrell et Jackie Stewart, qui a raté de peu le titre en 1968, demandent à Jean-Luc Lagardère de leur fournir une machine équivalente à un moment où le bureau d’études Matra est déjà bien chargé avec les projets MS80, MS650 et MS640.

Afin de réduire les délais et d’anticiper de probables développements, la MS84 est construite autour d’un châssis tubulaire au lieu d’une monocoque – ce qui est le cas de toutes les autres monoplaces Matra. La transmission intégrale fournie par Ferguson est très proche de celle développée pour les Ford Mustang de Tony Rolt. Deux jeux d’engrenages de transfert sont fournis permettant une répartition du couple avant / arrière de 1/4-3/4 ou 1/3-2/3.

Dés les premiers essais Jackie Stewart se rend compte qu’il n’y pas assez de poids sur l’avant de la voiture pour que la solution apporte un avantage sur le sec. Par ailleurs la voiture est lourde (610 kg), sa direction aussi du fait des grandes roues avant, et sa position de conduite décalée vers la gauche la rend inconfortable. En conséquence la MS84 est reléguée au rang de voiture de secours et, comme en 1969 l’ensemble des Grands Prix s’est disputé par beau temps, la voiture n’a jamais été testée dans les conditions pour lesquelles elle était prévue.

Au Grand Prix d’Angleterre 1969 Stewart accidente sa voiture. Il prend donc la MS80 de Beltoise pour la course, et celui-ci hérite de la MS84. La lourdeur de sa direction sera une souffrance pour le pilote français dont le bras gauche est bloqué depuis son accident de 1965.

Une fois le titre de Champion du Monde assuré après le Grand Prix d’Italie 1969, Ken Tyrrell embauche Johnny Servoz Gavin pour la tournée en Amérique du Nord : La MS84 est engagée aux Grands Prix des U.S.A, du Canada et du Mexique. Afin d’améliorer le confort de conduite et les performances du véhicule, la transmission intégrale est modifiée au niveau des engrenages de transfert et la voiture devient une deux roues motrices. Johnny Servoz Gavin termine sixième du Grand Prix du Canada, inscrivant au Championnat du Monde le seul point jamais gagné par une voiture à quatre roues motrices – en configuration deux roues motrices.

L’amélioration des pneus, l’apparition des gommes tendres et des pneus slicks, les progrès en aérodynamique feront qu’à partir de 1970 plus personne ne considère la transmission intégrale comme une solution intéressante en Formule Un. La transmission de la MS84 est démontée et renvoyée chez Ferguson et en 1972 la décision est prise de détruire la MS84. Gérard Ducarouge est scandalisé, proteste, et suite à cela plus aucune Matra de course ne sera détruite par l’usine.

En 2014 l’ensemble des pièces de la transmission intégrale de la MS84 est récupérée dans les réserves du musée de Donington par un collectionneur qui confie à la société EPAF de Romorantin la tâche de reconstruire le véhicule disparu. Une importante documentation et plus de 6000 heures d’études et de fabrication permettent à l’équipe de cette entreprise romorantinaise de reproduire le véhicule original avec une fidélité extrême. La voiture effectue ses premiers tours de roue au printemps 2020, et en Octobre 2020 elle est livrée à son propriétaire qui couvre ce jour là plus de 150 km à son bord.